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Le Canard inquiet

9 mai 2021

Les muses vacantes

Billevesées en gribouillis, ramassis de soi, lie de la vie en prose, éructations maladroites, délires romantiques en toutes lettres, nous ne pouvons nous empêcher de croire que nous faisons fausse route. Et en même temps, la tête baissée, nous fonçons vers les étoiles. Qui peut nous arrêter dans cette odyssée ? Le fracas de notre motivation sans doute, lorsque nous deviendrons trop niais pour produire plus de cent mots à la journée. Alors nous appareillerons et attendrons la mort. A défaut d'avoir trouvé l'amour. Encore une fois, une fois de plus, puisque nous en avons toujours le goût dans la bouche. Ce n'est jamais de trop, même si au bout d'un moment on en a assez. Peut-être parce qu'on veut plus. A tout le moins... Now goodnight moon, I want the sun. Nous nous reprochons notre hébétude sociale, lorsque nous écoutons sans rien dire, et même quand on nous parle, et surtout quand on nous parle d'amour. Jeez ! Mutiques, nous écrirons encore un livre, un livre insipide, sans course-poursuite, sans explosion, peut-être un mort ou deux (triste sort commun) et il faudra qu'il soit bien écrit. Nous prenons les muses à temps partiel. Elles viennent, elles s'enfuient lorsqu'elles nous comprennent, qu'y a-t-il de si étrange, nous sommes étranges bien sûr et notre pouvoir est de n'en avoir plus rien à faire des clauses, article 2 alinéa 3 (4 ?) dans cette affaire. Nous voulons, nous aurons peut-être mais tant pis pour elles nous resterons les mêmes, arrêtant tout activité lorsque la playlist pointera sur Electric Moon, le son de quelques énergumènes. Rien à battre, tout de façon nous ne sommes pas violents. Tout est véhiculé par la musique, jusqu'aux pires excès, une guitare lancinante, And no-one showed us to the land And no-one knows the wheres or whys But something stirs and something tries And starts to climb towards the light. En attendant, nous sommes rompus, la séduction se fera derrière un masque – on ne touche pas, on ne s'approche pas – jusqu'à nouvel ordre. Elle est là, derrière sa caisse, bip bip bip, et je me rappelle d'elle avant la crise, alors qu'il était encore possible d'apprécier les traits de son visage mi-sérieux mi-tendre (mais pas pour nous) et de profiter d'un sourire, commerçant bien que pas désagréable. Toute chose ayant sa mesure, nous n'en faisons cas, même si nous aimerions nous en faire tout un cinéma. Soyons un peu Ponce Pilate, lavons-nous en les mains. Puis imaginons une éclipse des cœurs, tous les couples d'un coup de magie, seraient séparés et alors nous connaîtrions les chaises musicales. Bon, il nous faut une bonne chanson :

All those words you said to me

Meant something

But at the same time nothing

For I wasn't listening

I was getting into your soul

Your face has left an impression

Deep inside my cranium

When those thoughts are realised

It's here I find

That your face is in my mind

Yeah your face is in my mind

Nous ne fautons pas, nous restons à couvert des déboires sociaux de la plèbe nourricière. Nous lui offrons nos autels, nous vénérons ses grande ailes, à cette ange démonique en qui nous trouvons (pour l'instant) tout fantastique. Merveille que voilà ! Nous aussi nous sommes aux anges. Nous ne lui dirons pas, nous nous cacherons, nous apprécierons de loin le spectacle, nous nous torturerons sur 20 pages A4 Times New Roman taille 12. Et ce sera mieux ainsi, il ne faut pas prendre de risque, notre retraite sociale pourrait y trouver un couac et revenir dans le creux de ce jeu entre confrères qui nous excède. Nous le voyons arriver, nous sommes bons pour la Friend Zone. C'est bien d'avoir des amis, des tas d'amies aussi, mais nous restons dans le Hall d'attente, divertis par les passants et les filles tout à coup court-vêtues qui ne font qu'abîmer notre fierté. Serait-elle mal placée ? Revoyons une scène. Il est tard, la rue est déserte, un père autoritaire veille à l'étage au-dessus de celui de ma belle. Parce qu'elle est belle avec ses New Rocks, toute de noir vêtue comme alors je préfère, et j'ai à peine 19 ans. Elle sera la première, mais si j'ai un souvenir très net de notre premier baiser je n'en ai aucun de notre première fusion. Je n'emporte pas ça avec moi, ce qui va en désespérer plus d'un. Comment ça s'est passé ? Je ne sais pas mais ses seins étaient parfaits. Nous nous étions rencontrés sur Caramail, le chat à la mode au XXe siècle, où tout était possible, presque plus qu'aujourd'hui, au milieu de phrases entrecoupées d'autres phrases, d'autres conversations. Un chaos pêle-mêle de conversations, une grande fête pour la branlette sociale. Et il y avait un salon Metal sur lequel une fille – en étais-je sûr à ce moment ? - timidement pianotait des mots en aquarelles. J'eus tôt fait de passer en privé et de la rencontrer In Real Life, comme disent tous les gamers (tous ?). Pas de photo, ce sera une surprise complète. Puis nous nous sommes embarqués pour deux longs mois dans la piqûre de l'hiver, à nous retrouver la nuit et à trouver nos vies tout à coup plus agréables. Deux mois, pas un de plus et une séparation dans la douleur et le sport. On vaque à nos rêves, les siens n'étaient pas les miens et elle est tombée dans les bras de son ancien prof de guitare qui avait l'avantage d'avoir un meilleur doigté que moi en ce qui concerne la vibration des cordes. Soit. Je n'ai pas pleuré, j'ai juste fait face à mes premières véritables angoisses. C'est le jeu ma pauvre... Je me permets de ne pas rentrer dans les détails de cette histoire qui restera toujours entre elle et moi maintenant qu'elle a disparu de tous les radars. Si je résume rapidement le scénario de cette dolce vita express, c'est qu'elle m'a assez marqué pour rentrer dans ce livre à cet endroit choisi par hasard à dessein d'énoncer de simples faits sans cryptage. Vous êtes servis, vous ne l'avez ici rencontrée que de très loin parce qu'elle a pris assez de place dans mon esprit pour que j'en fasse un trésor personnel, de ceux que je ne livrerai jamais dans leur entier. Poursuivons !

Souvent, on est assez serein pour ne pas le voir. On bricole des morceaux rouge feu ou noir d'encre, sans aller se perdre dans les nuances du spectre chromatique, on en a honte, le rose est presque tabou, le jaune soleil ne fait naître que l'ennui sinon chez les amateurs de Paulo Coelho et le vert nous rend suspects. Rouge. Noir. Le sang et la mort. Une cascade p.123, deux blessés. Une fusillade, il était temps, p.412, trois morts, le héros s'en sort et la belle est en sécurité. Puis nous résolvons le tout, le complot était tiré par les cheveux, la chute imprévisible et le héros épouse la fille du commandant. Petit nota bene de conclusion : l'humanité est sauvée et le prix du baril de pétrole reste stable. En matière de romance aussi il peut y avoir des rebondissements et des cliffhangers équivoques qui font espérer une suite (mais ce n'est pas sûr), des dévers d'émotions du genre mielleux ou aux odeurs fines de lavande industrielle. On pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils. Alors, le temps fait son œuvre, on se redécouvre, on veut conquérir l'univers et en tout premier lieu la princesse coincée dans le château de Bowser, un hère bon allant qui contrarie des projets de toute façon stupides. Die and retry avec une autre cible. C'est l'impermanence avant le dernier coup de foudre, qui se conclut sur 30 ans de bonheur conjugué et une palanquée de mioches à envoyer à la fac. Deux peut-être. Les joies et les brisures de la parentèle, une osmose trafiquée, des coups durs salvateurs et une famille recomposée. Les enfants doivent-ils appartenir à leurs parents ? Faut-il d'ailleurs continuer d'en faire... voilà la thématique principale dans un monde dégénéré en partance pour pourrir les planètes d'à côté. La Lune pourrait devenir un bon spot de villégiature, la vue est superbe, les prix seront bientôt annoncés, on y emmènera la princesse qui se trouvera peut-être dans un nouveau conflit d'intérêt. Or, la série Black Mirror nous a mis le doute : notre présent est-il souhaitable ? Notre avenir est-il viable ? Questions bateaux pour roman-fleuve d'où s'écoule la sève de notre être, le nerf inconscient de toutes nos guerres, le centre d'attention numéro un : la princesse dans le château de Bowser. J'en connais qui aimeraient se pavaner avec elle, faire montre de leur sex-appeal, signifier peut-être que la réussite et l'argent en sont la clé. Ils se sont trompés de romance. Mais nous, que voulons-nous ? Faire bombance, nous prendre des paillettes dans les yeux ? Nous n'exhibons que notre impuissance... C'est sans doute mieux – merci Pascal – de savoir rester seul chez nous. Des heures qui s'étirent, des bulles spéculatives de projets, un néant qu'on comblera au bar, trois rues plus loin, en abusant de bières amères. De ces mots plaqués on aurait tôt fait de croire que j'ai abandonné sourire pour plonger dans la sinistrose, constat logique qui élude ma joie d'être au mitan de la réalité. Je contemple mes démons pour les laisser flétrir en mon for le profond et l'Histoire, qui s'occupe des siens, me rit au nez. Or, il y a bien une créature étrange qui repeint les abîmes de mon âme de sa bile acide et froide. Elle ausculte mes pensées, me pousse à vomir des mots, emprisonne toute échappée généreuse de candeur dans l'antichambre des espoirs devenus obsolètes ou trop ambitieux. Reste la bonne humeur, que cet exposé, épargné à ma psychiatre, magnifie pour la rendre plus belle. Oui, reste la bonne humeur.

Nous sommes assis là, à nous regarder vieillir, avec des forfanteries comme projets. Il faudrait tout bousculer pour assouvir notre avidité, bien qu'elle soit fort commune. Les réseaux se défont et se refont, l'arbre des possibles pousse sur des racines pourries, l'empire des anges est à portée d'un délire, Thanatos nous sourit, la matrice nous suffit, nous manquons de mots pour bien le dire mais... amour, égrène ta vanité ! Nous sommes reposés, seulement un flux de niaiserie nous encourage à l'action, à l'histoire sans fin. We are machines of loving grace, So take my hand lets fly through space, We can save the human race (Princess Chelsea). Parce que, ironie du sort, nous ne sommes pas sevrés de l'amour maternel et nous rejouons Œdipe. Mis sommairement en forme, le cahier des charges n'est pas encore bouclé. Nous le remplissons, le raturons, rajoutons, discriminons, soulignons au stabylo vert les impératifs catégoriques en quête d'une raison pure et découvrons la métaphysique de nos mœurs dans une consigne automatique oubliée. Voilà, nous cherchons quelque chose qui n'existe pas. Nous sommes prêts à négocier pour un ersatz de volupté mais nous serons intransigeants sur la façon dont nous le traiterons : avec bonheur. De sorte que nous sommes d'une certaine espèce de croyants : des mécréants qui font le pari d'un peut-être et d'un peu d'être. Ce que nous voulons c'est entrer dans le plasme en restant sur Terre. Voilà à quoi nous dépensons notre énergie, si peu, voilà ce à quoi notre cynisme nous interdit pourtant de croire. Les dés en sont jetés, nous verrons bien. En quête de l'Autre, en quête de nous-mêmes, nous arpentons les couloirs discrets de la société en faisant autant de bruit qu'il est permis alentour. C'est un jeu, nous entrons dans des pièces pas trop populeuses pour échanger nos points de vue intéressés à raison de la force de nos cœurs et à destination d'un public qu'on finit par espérer acquis à notre cause de rédemption personnelle. Nous voulons nous racheter en buvant un café, nous voulons aussi mûrir comme d'autres inhumains le firent. Mais toujours nous voguons, assoiffés et fiers d'avoir résisté à continuer nos délires, vers la terra mystica de nos rêves, en restant si possible assis, lourds du poids de nos désirs. Il n'y a pas de tutos, ou alors de mauvais, et nous errons en chantant la fin des temps dans laquelle parfois nous aimerions précipiter l'entierté de l'univers connu, pour qu'il n'y ait plus de barrière, pour que le plasme nous enceigne, pour qu'il n'y ait plus que béate placidité d'exister et rhum à volonté. En attendant, nous irons au bar...

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9 mai 2021

Let's go out

Le chaos garantit que l’ordre ne constitue pas un système fermé

19h30. Il faisait agréablement froid (oh ! Wad-zoos-en envoie moi un mistral de glace, la paix éternelle se dessine et je flippe) par ce début de nuit rennaise et quelques passants visiblement bourrés ou dé-télévisés déambulaient maladroitement sans trop prêter attention aux woitures ni à eux-mêmes. De charmantes gazelles au galbe très accroche commerciale prime-time W9 de notre XXIe siècle, élégantes et rapides, puissantes maîtresses qui règnent sur leur microcosme par la rondeur de leurs fesses, filaient tendues et absorbées dans leurs illusions d’amour chrétien (mais pas que) aux côtés de leurs mâles mal rasés selon qu’il est établi que l’amortissement Landau s’applique dans un contexte perturbatif non linéaire. Mâle. Ces messieurs, ces pré-adolescents prêts à tuer le père d’incapacité à dire NON sans blesser le corps ou l’esprit (ce qu’on sait désormais être rigoureusement la même chose), faibles et esclaves du conflit psychique entre leur pénis et … leur anus ???, transpiraient de dégoût pour le tripalium qu’ils s’infligeaient au nom d’un plaisir étrange sinon mystique en tout cas exotériquement pervers comme programme de survie dans leur enfer tachypnéeique : le regard jaloux des autres, ce besoin de décréter un bail emphytéotique par servage mental sur le désir des autres, lequel s’inscrit dans un rapport de domination bien sûr pathologique. Si elle est jalouse, c’est qu’elle t’aime. WTF ??? Perdus, coincés à nouveau dans leur déterminations (mais connaître le français est une détermination intéressante, notamment pour communiquer avec les morts qui ne cherchent toujours que la vie), revenus ou bloqués embastillés bénévolement à un stade infantile (et pourtant le geôlier est agréable et prête volontiers ses clés), incapables de se défendre sans devenir de véritables tyrans – et peut-être nous produire une exégète classieuse d’Irminisme même pas peur -, leurs désirs de jouir, et de toute façon ils ne semblent en connaître qu’une seule méthode et elle est séminale, étaient parasités d’insondables perturbations psychologiques, historiques, sociologiques, … et les voilà en train de sonder quand même dans le labyrinthe mouvant de leur esprit dispersé dans toute la ville, le pays, la terre, l’univers, qu’y a-t-il au-delà de l’espace et du temps ? … Dieu aide-moi !!! Qu’as-tu laissé Minos et les frères Wachowski s’hybrider ? Débarrasse-moi de cette hallucination collective qu’est la culture !! Technique inefficace, sois créatif et arrête de prier. Spéculatifs et inconscients (fatigués dirons-nous), dans d’indécryptables gamberges, de nouvelles cosmogonies pour leurs jeux de l’amour quand ils pourraient danser et transpirer, des justifications ontologiques à leur incapacité à être des organismes sains plutôt que des zombies en laisse. Et sans laisse !! Il est vrai, ils ne sont pas aidés et je ne peux pas les mépriser. Les dominants écrasent, encore et toujours. Ils flippent, on le sait. Vous ne le saviez pas ? « Nous on n’a pas lu autant de fucking littérature inutile ». Allons, regardez juste comment ils se déplacent, vibrent et communiquent ! Pas besoin d’être un dieu, même un chat le sentirait.

On dirait que tout le monde flippe. Constamment, parce que le chaos les insupporte. Peut-être vont-ils nous faire œuvre de nouveaux rites sacerdotaux en exigeant d’un Dieu absent, ou en planque sur Sirius (Philiiiip …) quelque miracle. Comme s’ils manquaient de [Milky ?] chance. Oui mais, … ai-je la vague impression d’entendre. Oui, mais … oui, mais … oui, mais … [il va craquer et se mettre à chialer comme en maternelle supérieur parce que son nesquik est tiède ou 30 centimes au dessus du prix du marché et me farcir le crâne de son DEA en anthropologie psychanalytique] vous ne comprenez rien, vous êtes trop con !! ah non ce mec est en train de hurler de façon ostentatoire par légilimancie incontrôlée. Secundos le silencieux, la revanche d’une transmission télépathique trans-temporelle. Peut-on parler d’interactionnisme symbolique ? Si je croise Everett Burgess dans la matrice je lui demanderai. Euh … comment on reconnaît Everett Burgess dans la matrice ??? En attendant voilà madame, qui cherche à éveiller ses sens, respirer des effluves de thé de Madagascar, caresser une peau de mâle vibrante, faire fondre de la liqueur de lavande sur sa langue … ou attend avec l’espoir transcendantal d’un dévot croyant, je spécule, un prince quand elle pourrait en élever un en usant de pédagogie et de cours magistraux de linguistique diachronique augmentés de lyrisme inversé (au laudatif du 3e degré, mais vous aviez compris).

Je lui dirai bien que ce qu’elle aimerait, sans que je m’embarrasse de doutes même cartésiens, ou pour le sport, ce serait un jeu d’égal à égal, sans violence, même diffuse et indolore, ou si légère qu’elle serait récréative et si ouvertement concupiscente dans le désir de faire affluer la dopamine dans SON système mésolimbique à tout le moins d’un égoïsme hipster subtil, nous voilà dans un étrange et ondulant delphinarium, et libéré par la seule force du sabre laser quand tu te retrouveras au carrefour des voies et que tu devras choisir la route, n’hésite pas choisis la voie de la vie, du déni NAN C’EST PAS VRAI de vouloir jouir, très énervé par ton phallocentrisme crépusculaire, pour parvenir au coït, pardon l’usufruit de madame – pour te fonder dans une seule âme ? Ouais, parce qu’elle fait un bon rôti aux cèpes et que t’aimerais que ça recommence, espèce de junkie… - alors qu’il serait si puissant et animal de lui faire part de ton désir d’entrée de partie avec courtoisie, tendresse et sensualité, peut-être en utilisant des techniques de communication non-verbale comme être attentif à la façon dont elle se déplace et aux sons qu’elle produit, sans prétendre que la partie est gagnée. Avec quelques relents de ludique bestialité pour la faire monter en tension sans commander, par des procédés compliqués et coûteux, de l’Erythroxylum catuaba au Brésil (ah ils en vendent sur azarius.fr pour 11€95 ! Duuude). Et même sans la faire jouir ce serait gagné. Ah ! Pauvre animal subordonné au grand Autre (pour les détails techniques, voir Lacan). J’anticipe un peu leur soirée, qui s’annonce triste et névrotique, et sans doute me pris-je à schématiser [Méfiez-vous de tout le monde et en particulier de ceux qui conseillent de vous méfier. Etienne de la Boétie]. Mais soyons factuels, même Pythagore aimait les triangles. Leurs courbes, leur tendresse, leur appétence sensuelle et leurs propriétés aphrodisiaques aux odeurs musquées d’ontologie aux vertus scolastiques à composés aromatiques. Mais rien n’y fait, je les vois – est-ce que j’ai une hallucinose visuelle ou qu’il me semble avoir vu ça dans un film cheap ? - se rendre au restaurant, peut-être manger des frites et un kebab, être faussement agréables, parler sans s’écouter comme s’ils jouaient au ping-pong, ou plutôt au bowling vas-y que je vais te striker la tronche de ma science académique sur un ton pontifiant assez pour t’endormir mieux que le journal de 20h ou 1h59 de vous avez un message avec une Meg Ryan qui, quoi qu’on en dise, a pour l’instant une poitrine agréable, et s’encroûter d’ennui, sans même apprécier le vin rouge, avant de s’engueuler sereinement (ton curé personnel monsieur le psy a dit que c’était bon pour votre équilibre conjugal) comme papa et maman ou comme dans plus belle la vie, pour le sport version militaire absurde mon romain, quelques minutes au dessert dont ils auront oublié le goût c’était quoi le dessert ? pour rentrer à la maison, maintenant que madame a l’estomac rempli et la tête gavée (mesdames, parlez aussi à mon estomac), et limer rapidement - 17 minutes c’est l’idéal a dit le docteur, et si possible je vous recommande une petite anamnèse pour rappeler que vous n’êtes rien STUPIDE ESCLAVE, pardon je me suis emporté s’excuse-t-il diligemment – Vous avez dit quelque chose ?? -, réconciliation sous la couette, jusqu’à un tout petit orgasme masculin plein de douleur mais pas dans son sexe, pour satisfaire sans talent et sans passion le désir non-dit de grossesse, mais tout de façon il le sait, de cette jeune salariée à la recherche de son père [Note de l’éditeur : cette phrase est très longue monsieur Mayol, vous avez failli tuer 3 lecteurs par arrêt cardiaque]. Chérie, je ne serai pas ton père et tu ne seras pas ma mère, mais si tu as assez de courage et de détermination fanatique pour supporter l’enchaînement des joies, des ravissements, du froid reposant et de légères douleurs guérissantes, des plaisirs, des larmes de rire, des orgasmes multiples que je t’aiderai par des miaulements doux à ne pas transformer en vision transcendantales déclinées dans les 17 tomes d’un nouveau Shôbôgenzô, de quelques ludiques contrariétés, comme un maternel courant de Humboldt, et que même tu veux laisser couler le flot de tes émotives déceptions, irritations, fâcheries et remarques triviales sur l’épisode 2742 de plus belle la vie lorsque nous passerons la soirée ensemble, alors je pourrai être ton amant de temps en temps ou juste ce soir. Ce soir tu seras ma petite Freyja. Ton ami que tu peux jeter. Mais je sens que tu n’as pas envie de partir tout de suite. Paradons ! Va cueillir une fleur blanche. Le blanc symbolise la pureté et la virginité mais aussi le raffinement et l’élégance. On peut envoyer des fleurs blanches pour faire une déclaration platonique, mais aussi pour exprimer l’admiration que l’on ressent envers quelqu’un. En effet, la pureté du blanc évoque la beauté et la perfection … est-ce de l’humour trash d’une crypto contre-culture pleine d’un nouveau conformisme à portée universelle et fasciste ? Ca sent le porno humaniste florentin. Ton prince ? Si tu aimes ce vocabulaire … les mots ne me font plus peur, ce ne sont que des modules grammatologiques open source. Mais ta méconnaissance de la philia aristotélicienne est-elle délibérée ?

Les préliminaires commenceront avant même que tu me rejoignes, ton imagination anticipe déjà l’inconnu que je te ferai ravissant parce que je sais que le socle de ton délire (sans doute compliqué et aux implications dionysiaques) c’est rire, pleurer, rêver, jouer, manger et boire une pina colada. J’espère que tu te prépareras mentalement avec un début de fièvre au corps et tes hormones terpéniques en production industrielle. Cela durera le temps qu’il nous plaira. Je saurai trouver mille plaisirs transfinis en attendant celui que tu crois être mon seul. Et peut-être alors sauras-tu que je suis un humble fou et que l’état d’anémie de l’hyperunivers II, qui amena des dysfonctionnements qui endommagèrent notre univers hologrammatique (origine de l’entropie, de la souffrance imméritée, du chaos et de la mort … Tractatus Cryptica Scriptura fragment 47, Philip K.Dick) me fait juste pleurer de rire. Et pour faire mon dissident dans ce monde trash-o-maniac, je vais me retenir de faire du Bukowski. Sinon tu vas faire un bad trip.

Mais ce soir je sors avec une autre, tu as raté le coche. Et elle me semble bien plus libre. Cours jouer encore des scènes d’esclavages, reconstruire des pyramides au nom de ton père qui t’a bien fait comprendre qu’il ne te ferait pas d’enfant, à tour de rôle parce qu’on est en 2014 et que tu connais bien ta table de 4 et calculer - n’as-tu pas fait Math Sup ? - avec tes propres algorithmes la physique quantique des tâches ménagères de ta prison ouatée : la photo de ton père sur le mur de ta chambre ? Qui t’a inspiré ce jeu débile ? Un psychanalyste peut-être. Freud est un gourou puissant. Mort, il contrôle encore ton désir créatif. Aucune idée de la façon dont il s’y prend mais personne ne t’oppresse, je ne vois pas de chaînes et de fouets, tu peux devenir un chat et miauler. Te rouler par terre entortillée et gémir d’envies sensuelles en attendant que j’approche avec une démarche de puma du Québec et reposer ton esprit de cette violence injuste que je viens de t’imposer. Hum, notes pour plus tard : envisager une excursion dans l’inconnu québécois. Je pourrai y improviser une danse de l’amour, comploter pour te faire pleurer de rire, chanter faux quelques secondes pour te violenter un peu, te repousser fièrement un instant pour attiser ton appétit et répondre à des ambitions insatisfaites que tu ne pensais peut-être même pas connaître. Et comme tu auras envie de jouer avec moi, tu feras de même. Nous serons des égaux – en réalité nous le sommes déjà - nous serons des amis. Des grecs anciens ! Peut-être même parlerons-nous koinè rue Saint-Michel en riant et en dansant. Et nous n’aurons aucun disciple. Des enfants, pourquoi pas. Mais attention, élevez des fous dans un monde autoritaire camouflé va être un défi. Sauf si l’on se résigne à en faire des machines …

Après tout, je sens qu’ils aiment leur misère ces gueux (ils s’encastent eux-mêmes. Les procédés zoomorphiques qui les y mènent m’échappent en partie) qui ne m’inspirent de mépris que parce que je ne saisis pas la portée de leur non-combat. Tant pis je ne suis pas le Christ, je ne peux pas aider tout le monde. Ce soir je m’occupe de toi. Notre association d’égoïstes et les zones d’autonomie permanentes que nous aurons libérées à la seule force de notre désir nous mèneront vers des situations inattendus car la vie a plus d’imagination que mes rêves. Et même, oui et même, dans les règles du jeu. No-where ? Now-here ! Oui, jouons !! Mais ce soir je sors avec une autre et si je m’embrouille la tête, que je parle de toi ou de moi comme si nous c’était toi ou moi j’étais elle en perturbant un peu la chronologie, n’oublie pas que je sais très bien ce que je suis en train de faire et que je maîtrise le trip. Va donc voir un film d’amour et rêver de contrat de propriété ! Pendant ce temps je corrige mon catéchisme révolutionnaire.

19h45. Je la vois arriver au loin. Elle a mis des bottes rouges pimpantes et agréables, pour un peu je sentirais des odeurs de rose et dans une transe extatique je développerai en quelques yottasecondes (soyons approximatifs) une théorie holistique du cerveau. Arrivée près de moi, je l’attrape des deux mains par les épaules, comme si je rejouais une légende dorée, sans violence mais avec la délicate fermeté que les muscles fléchisseurs superficiels de mes doigts me permettent et je lui fais une bise, très scolaire pour ne pas la brusquer, sur la joue gauche puis une bise sur la joue droite pour ensuite dodeliner de la tête avec un sourire canaille et les yeux demi-clos. Je glisse une main amicale dans son dos et sans même avoir à la pousser par quelque dénonciation, interrogatoire, enlèvement, disparition ou exécution aléatoire (même un spot de pub) la voilà déjà mettant un pied devant l’autre pour aller dans la direction que j’ai subitement choisie sans mot dire. Du bon travail collaboratif sans embrigadement à plein temps. Plus tard elle en choisira une autre et, avec une contrariété pédagogique amusée nous irons voguer vers son désir. Pour le fun que je ferai mien. Restons vigilants, des choses inattendues peuvent se produire. Des éléments d’instabilité peuvent advenir dans ce semblant d’ordre.

Quelques pas plus loin, je lui demande si elle aime les macarons. Ma mémoire n’est pas infaillible mais il m’avait bien semblé l’entendre me parler la fois dernière de ce petit plaisir. L’information a été reçue sans que j’aie eu besoin de la projeter comme hypostase dans le monde phénoménal. La reconstruction de nos sous-circuits via des modifications du temps linéaire et orthogonal, ainsi que l’émission continue de signaux à notre adresse, des signaux destinés à stimuler en nous ces banques mémorielles bloquées et à provoquer l’étincelle qui nous permettra d’extraire ce qui s’y trouve. J’ai pris un risque. Tout petit, ridicule mais efficace. Le salaire de la peur. Et il me fût confirmé lorsque je la sentis fondante au moment de lui annoncer que j’ai un sachet en provenance de la boulangerie dans la poche, de sortir les trois gourmandises (vanille, framboise et chocolat) que j’avais bien fait de lâcher 2,40 euros à la boulangère souriante de mon quartier.

Je me sentais léger et un peu faible, aérien et béat, et j’en profitais pour être tendre et fluettement tactile. Une bienveillante félicité, comme un sentiment de sécurité et de liberté en équilibre et d’une perfection doucement oscillante immergeait toutes les localités attendries de mon corps heureux. Je la savais proche avec peut-être un sourire délassé et réjoui pendant que je goûtais un miel d’une éphémère agapè qui faisait transpirait mes veines d’un sensuel orgasme secret. Eurydice était comme à mes côtés et le monde hurlait de couleurs, de bruits, de mots et de violences symboliques qui glissait sur mon cœur comme de l’eau tiède. A ce moment, tous les dangers étaient abolis et je pouvais respirer doucement. J’avais les muscles légèrement débiles et tout à coup une sorte de sensibilité féminine, mais la peur était abolie, et une innocence de gosse me faisait sentir comme la fin de toutes mes misères et le don d’un Libero arbitrio contemplatif et fluide. Avais-je déterré du fond de ma folie guerrière mon Hiéron sacré et enfin remporté une guerre qui valait le coup ? Peut-être aurai-je alors pu gribouiller un poème orphique et partir avec son cœur pour toujours, comme pour la punir de mon désir de ne jamais en faire ma propriété... mais je ne suis pas un voleur et je veux qu’elle conserve une pleine et ronde intégrité en me préservant de me perdre sans canot dans l’océan infini et les remous terribles d’un délire antique. Et je ne vais pas me laisser avoir par des interprétations métaphysiques spéculatives obscures et infondées pour la compréhension s’il vous plaît que s’est-il passé mon père ? d’un sentiment de douce plénitude. Alors je lui proposai avec une canaillerie aiguisée et raffinée d’aller chez elle juste avant que le mâle reprenne son droit d’être aux aguets. Et comme elle refusa avec la politesse féline d’une femme qui veut jouer encore, nous repartîmes chercher d’autres plaisirs et des dangers d’où la tirer.

La douleur se réveillant dans mon pied, je faillis chuter sur la miss mais même mon orgueil ne fût finalement pas blessé. Blesse-moi doucement si l’envie te prend ! Je lui demandais si j’avais abîmé sa botte rouge et sans un regard pour celle-ci elle me dit que non. Nous voilà place de la mairie, des images étranges et paisibles défilaient sur les murs. Agapè et l’Hiéron avaient disparus mais Eros et ma philia étaient là et invincibles et voilà que nous naviguions derechef dans cet enfer baroque. Tant qu’elle resterait dans un rayon raisonnable de mon ma-ai, je pouvais anticiper la plupart des menaces. Et s’il n’y en avait point, tant pis j’augmenterai mes dispositions instinctives. Pris d’un vertige à l’effroi de mourir à prolonger cet instant de faiblesse ravissante que monsieur le curé cherche à m’imposer parfois avec une inefficace autorité, j’ai soudainement eu envie de me faire une heure de trash métal dans la cave du Gazoline avec une pinte de Triple Karmelit prête à exploser par surprise au plafond dans la main droite mais … sans céder à la panique, j’ai réorienté mon désir et j’ai repensé à cette scène :

Chérie, fais-moi pleurer de douleur

Je sors le fouet ?

Non, sois cruelle, violente, attise ma haine !

Le cutter ?

Aaah, je t’en prie sois plus magnanime, montre-moi ton amour tendre et invente-moi une torture juste assez insupportable que je ne tombe pas dans le coma.

Je n’ai plus d’idée …

Sors un Guillaume Musso, lis-le moi deux fois intégralement avec l’accent de la péninsule du Labrador déclinaison mont d’Iberville en répétant trois fois d’une voix tapissée et fragile les messages christiques !!

Tu es trop gore comme mec, je retourne chez ma mère.

Tout de façon, je suis un guerrier, j’ai résisté il y a peu à ce genre de cauchemar dantesque et baroque que même un prêtre armamen ne supporterait pas (le côté obscur, la peur, tout ça tout ça …) : 6 minutes et quelques secondes de Hervé Vilar avec le son très fort (ce mec est-il un théozoologiste ? Mystère et poils de femme. Dieudonné veut-il réouvrir un Lumen Club à Marcq-en-Baroeul et introduire une chaire de thésophie-anthroposophie dans une cabane du parc des Ecrins avec pour seule bouffe des génépi et des lagopède alpin ? je m’en fous, madame est là). Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. (Litanie contre la peur du Bene Gesserit). La foule était un peu dispersée.

30 minutes plus tôt, elle était dense et compacte. Je n’ai pas relevé le défi et j’ai contourné les gentils zombies en inventant des procédures d’orientation intra-urbaine grâce peut-être à ma vision des champs magnétiques ou de ma maîtrise du nahualisme zapotèque. Chemin faisant, toujours fanatiquement en joie et une douleur salvatrice et sainement fatigante dans le pied droit, je suis tombé sur un ange – je saurai plus tard que c’était un mirage - habillé en jaune accompagnée d’une connaissance que j’ai salué. Désolé, ce soir je sors avec une autre. Elle semblait connaître la force de son charme slave mais elle avait quand même l’air un peu chiante. Et je suis allé attendre les 15 minutes qu’il restait avant son arrivée en plein milieu de la place de la république à observer les divers animaux de ma jungle urbaine. Un documentaire passionnant, un réalisateur surdoué. Un œil, un style, une vision. Cette organisation naturelle me fascine. On dirait presque qu’il n’y pas de chef dans ce goulag (la police de la pensée est si bien organisée qu’on ne la voit même plus. Peut-être quelque part dans le système nerveux somatique. Work in progress). Comprenez ce que vous voulez !

9 mai 2021

Flames

Dois-je donc errer encore tout seul dans ce Reich terrible et triplement violent qui ne se cherche de sortie que pour se répéter à nouveau et sans terme dans de nouvelles et absurdes modalités ? Dois-je donc poursuivre encore, sans autre terme sinon ma mort, ma folie mystique toute neuve de ne pas tenter d'esclavager ton humeur jusqu'à la fin définitive de ma douleur folle et résignée de résister à te vouloir du mal ? Dois-je donc continuer à endiguer stoïquement les douleurs incessantes que j'ai tenté par la force de ma contenance de pardonner à ceux qui me les ont prodigués parfois dans la plus obscure et infondée des haines pour survivre dans ce brasier de colère et de mépris qu'un despote multiforme cherche à m'imposer dans une adverse et omniprésente folie ? Dois-je donc mourir à moi-même et refuser d'exister pour toi sinon dans la simplicité pour continuer à déverser le flot éternel et démesuré de ma prose malade de ne trouver le répit dans ce monde enflammé ?

Et alors que les armées folles et affamés de désirs sans fin de pouvoir et de propriété se battent encore autour de nous pour de vastes entreprises de néant, je suis là au cœur de cette guerre à chercher le repos, sage comme héros, et me faire pardonner les pulsions de violence verbale qu'une société inconsciente m'a poussé à déverser dans les règles. Et je continuerai sans férir jusqu'à-ce que dans mes bras tu daignes venir t'éteindre avec sourire. Je remuerai encore et toujours tous les ciels et tous les enfers de chacune des mystiques de toutes les religions qui peuvent avoir eu cours pour nous empêcher d'être toi et moi l'un dans l'autre, lovés dans une sereine et douce paix pour le simple plaisir de nous regarder l'un et l'autre et en finir avec toute cette violence que je me contiens avec le plus absurde et frénétique des héroïsmes de ne pas rejeter même sur ceux qui l'ont pourtant entièrement méritée.

Vainement, quoique à dessein, je continuerai de me scarifier l'âme pour m'empêcher de déverser dans cette réalité dérangée et annihilée de n'être que virtualisée et médiatisée par un système inique, séparateur et dérangé qui cherche à en finir avec l'humanité. Avec le plus propre et le plus destructeur aplomb, je chercherai à me débarrasser autrement qu'en face-à-face de cette orgie de mépris que je peux avoir pour cette colonie de criminels nazis qui ont cherché à m'embastiller pour faire de moi ce genre d'être fanatique prêt à se déverser en haine sur une humanité qui elle aussi cherche le répit. Quelle absurdité métaphysique me pousse à continuer mon entreprise littéraire destructrice sinon l'espoir qu'enfin je gagne la paix ? Jusqu'où serai-je capable de pousser ma vengeance verbale et jusque vers quel napalm d'idées exterminatrices devrai-je poursuivre ma colère contre cet univers qui veut m'interdire d'être calme et tendre ?

9 mai 2021

Esthétique de l'ennui

Fatigué de courir après les mots, j'en écris quand même quelques-uns. Il n'y a guère mieux à faire, est là l'essence de ma fonction productive, je produis des mots. Des agencements à tout le moins, émaillés de fulgurances et de repentances qui n'ont utilité qu'à être lues sans passion par le tout-venant, la masse réduite à sa plus simple expression, les gens qui passent par hasard. Il y a un dénigrement de soi, un jeu mortifère de la flagellation de soi, une folie de la mise en scène de son incapacité à éveiller qui que ce soit. Je déconstruis pour reconstruire, j'instruis un procès pour la postérité, je me love dans ce carnage en quête d'un plébiscite et je n'y trouve que la désolation. On ne lit plus, on écrit. Tout ceci est d'un commun... Je voudrais comprendre : qu'est-ce qui me pousse à écrire ? Le résultat est chaotique, je me repais du désordre et me convaincs que tout ceci est vain. Au détour de la prose, des idées jailliront à toute vitesse et se noieront dans la masse de ce tourbillon. Je tourne en rond dans une mer plasmatique dépourvue de fond et je m'y enfonce. Mes cris sont étouffés par la pression des eaux amniotiques desquels je n'ai pas su m'échapper. Je ne grandirai jamais, je serai pour toujours le bouffon d'une farce d'existence qui s’accommode d'abord de rester sur place et d'avancer, ensuite, par bonds furtifs. Mes desseins son malsains, mes conquêtes sont devenues une fête, je jouis de dire oui à l'ennui. Et rien n'avance sinon l'entropie de mon corps lourd. A la fin de la représentation la mort et la place libérée pour un autre souffrant. Mon martyr est pourtant de n'avoir rien du martyr. Il n'y a de heurt que ceux que je m'impose de façon masochiste, emporté dans la dénonciation de ma piètre existence, nettement plus heureuse que ce qui est légitime. Quelqu'un veut-il me libérer de cette fange ? Me conduire vers la définitive acceptation de mon sort des plus confortables ? Je pleure des larmes de crocodile, je me plains du rien, je me plains de ne pas assez souffrir, je me plains de ne pas trouver de sens à tout ça. C'est un jeu sans gagnant que de libérer mon fiel, de dégouliner de mièvrerie adolescente, de croire que tout est perdu alors que tout est gagné. Il y faut néanmoins bien un sens, plus qu'une direction, une signification à cet agitation. Je suis le signifiant sans signifié, en puissance pour un acte vide. Il n'y a que le vide. De quoi remplir les neurorécepteurs ? Je suis une machine qui se gave de neurotransmissions et après c'est la chute. Je deviens morose, je me mets à haïr ma condition sans véritable raison, je démissionne de la raison. Je suis le signifiant mais ça ne signifie rien, il n'y a que le vide des passions sans dénouement. Je ne suis pas triste, je suis juste en colère contre moi-même, incapable de trouver une destination à ma prose. Qui veut lire ça ? Qui écrit tout ça et pourquoi ? Il n'y a pas de raison, il n'y que la chute dans le vide ; je me lance, je traverse l'espace en tombant mais je ne m'écrase pas. Rien n'est achevé et chaque jour je recommence. Voilà un délit de la pensée, une disharmonie manifeste avec la bienséance d'écrire pour les autres, je n'écris qu'au vide. Pour rien. Il n'y a que le vide.

Fatigué de courir après les mots, j'en pose quelques-uns de trop. C'est sans conséquence et on peut s'en amuser. Quel trublion instable ! Je me prête au jeu du je et nous n'en sortirons pas grandi. Je vous le redis : je ne grandirai jamais. Grand bien que ma prose ne serve à rien. Elle n'a pas de valeur marchande, elle est là pour rien, elle existe sans l'aval de la critique, elle s'épanouit dans le vide, je me destine au vide. Qui lira ces mots ? Qui en fera quelque chose ? Faut-il vraiment en faire quelque chose ? Le rêve d'être écrivain est une hallucination et cette hallucination est tenace, elle offre un aperçu, une première destination, enfin. Mais elle est trouble, elle gigote devant moi, instable, impossible à juguler et impossible à atteindre. J'écris quand même, pour le style dirons-nous, à défaut d'autre chose. Et je me débats dans la fange que j'ai installé de mon propre chef, sans la directive de quelque kommandantur, je suis libre de nager dans ma crasse littéraire, sans port, tout compte fait sans destination, avec cette plainte sans fondement, la plainte du nanti qui s'ennuie de tout. L'accumulation des possibles a rendu le réel impossible, je barbote dans le néant et rien n'en sort. Il n'y a que le vide. Cette vie est une farce, la réplique sans teint et j'ai le teint d'un replicant. Trop de tout tue le tout, je me balance au-dessus du vide, je vais sans doute sauter. Puis recommencer, ouvrir une page blanche, la souiller de mes désirs éteints, courir après des mots dans une désescalade de la prudence littéraire. Je vais tout vous dire, ce n'est pas grand chose, peut-être même rien. Il n'en sortira rien, le propos est creux, dans le fond il n'y a que du vide. Bon, c'est déjà ça. Il y a une mise en forme, une folie latente, une volonté de décrire la lubie d'écrire, même rien, à tout le moins rien de passionnant. Je ne suis pas passionnant, je ne suis pas un auteur, je suis un acteur qui joue sa propre gloire déjà fanée, usurpée, forfaite, sans l'élégante humilité de celui qui pas même ne jouera de la sienne. Écrire relève de ma pulsion de mort, il faut que j'expulse ma haine contre tout et que je le fasse pour rien. Exercice simple, déballage comme un brainstorming, idéal révolutionnaire de n'avoir aucune raison d'écrire et d'écrire sans la vindicte d'un peuple grognant qu'il veut une enquête, au moins un mort et un assassin sous les verrous. Je vous fais bouffer du vide, du tiède, du sans sel et tout à la fois une ritournelle éternelle. Vide. Vide. Vide. Personne n'en fera rien, personne n'osera le plagiat parce qu'il n'y a rien à en faire. Vide.

Fatigué de courir après les mots, je me fais violence pour en rajouter. C'est mon destin, celui de n'être rien et de le hurler abondamment, dans une litanie verbeuse sans assise. Ce texte ne véhicule que du vide, il n'a pas de passager, aucune méthode pour rien ni guère de prétention à être plus-que-rien. Et en même temps on pourra y déceler un message, parce que le médium est le message. Je transpire de vide mais c'est mon corps qui le produit. Je suis un corps plein affublé d'un corps astral vide. Je n'ai aucune idée de ce que je peux apporter de concret à la littérature, sans doute ne lui apporterai-je rien. Rien de valable sinon une belle coquille vide qui produit des perles une fois l'an, aux alentours de Noël, alors que les rayons sont pleins et que je cherche en moi les ressources pour produire ma saillie. En attendant, je fermente pour rien et je pourris de ce vide aqueux dans lequel je me débats pour détruire l'armure incapacitante qui cache ma nudité. Je ne m'offre pas, je me survole, je me plains du vide quand d'autres se plaignent de la guerre et de la famine. Je suis un nanti et je n'ai que le vide pour compagnon ce soir. Il s'en passe des choses dans le vide, ce n'est pas rien. Pourtant, c'est désespérant ces pauvres riches qui accumulent l'ennui de ne plus savoir par quel bout prendre le goût de vivre. Il y a des fluctuations dans le vide, des désordres sensoriels, sensibles, sensuels. Comme s'il y avait quelque chose, énigmatique mais vivant, au-delà de la physique et douloureux pour le moral. A moins que ce ne soit qu'une privation sérotoninergique, une descente de MD – je ne prends plus de MD – ou une espèce de bad trip cannabinoïde. Dans le vide, l'angoisse monte et rien n'y fait sinon le Loxapac et le sommeil. Il n'y a que de la matière, nous nageons dans une piscine atomique et notre malaise trouvera résolution dans le monde qui se profile : le meilleur des mondes. Avec pour seul médicament l'argent. I want money, power, glory. Quand je me sens mal, je vais retirer cent balles. Qui vont s'évaporer en emplettes inutiles, parce que le mieux est dans le futile. Et dans mon apathie spectrale, je serai toujours au-dessus du vide. Le trouble moderne c'est de se perdre dans le spectacle, faire péter le cerveau de transmissions neurales et recommencer avant que ça ne redescende. C'est la décharge mentale, le secret du pourrissement de toute sophia : la perdition dans le divertissement. Et je nage dans le divertissement, j'en ai trop à disposition, je ne sais plus qu'en faire. Rien. Me laisser aller au vide et l'écrire.

C'est tellement facile les mots. Il n'est pas évident que vous les interprétiez toujours comme je voudrais, moi-même je ne suis pas toujours très raccord entre ce que je pense et ce que j'écris. Des mots s'ajoutent, des mots s'enlèvent, des mots résistent à la tempête bien que ça ne prouve rien. Il en faut toujours plus, je les collectionne, je les dispose dans tous les sens. Parce qu'ils sont souples. C'est un solo à la Samsara Blues Experiment qui dure des plombes que je fais, presque une impro à la Oresund Space Collective, parfois une vague pop à la Orange Alabaster Mushroom ou une complainte à la Windhand, une ritournelle à la Trentemoller que sais-je. The grammar is the limit. Et encore, pas toujours. On peut lui fouler le bras à la grammaire, on peut lui péter un genou du moment que c'est frappant. Bon, je frappe toujours dans le vide. Mais ce n'est rien me dit-on. Encore un divertissement. Peut-être une lubie, une incartade, un délire, une aventure lexicale. Tout est là, j'ai des aventures avec les mots, avec leurs sons, avec leurs sens, et je me suis essayé à toutes les positions avec les COD et les COI. Tout ça pour quoi ? Pour rien ? Ma foi... On les lira ici et là, dans la friend zone, dans la famille, par erreur aussi, par goût du risque. Je pourrais rédiger un pamphlet à mon encontre mais il ne serait pas assez violent pour rendre justice à ma vanité. Je cherche à me détruire par les mots, à exercer ma vengeance contre ma platitude, à produire une œuvre de mutilation de ma personne. Et ça vient doucement, ça se plaque, ça explose, mais ça ne laisse aucune cicatrice. Je suis insensible à ma douleur, dont j'essaye de me repaître de façon maladive. On le sait que je suis malade. Ça n'a d'ailleurs jamais été un très grand secret. Et ma grande joie est d'être graphomane. Oh ! Je ne suis pas aussi inspiré que les Grands, je ne suis pas aussi mélodieux, je ne suis pas aussi original, simplement j'emmène mes mots au combat et là tout de suite ils ne produisent que le vide. Rien. Je n'envie pas les Proust et les Joyce, mais j'ai une dent contre les Musso et les Werber, mon monde bouge au travers d'eux, de leur répartie et de leur talent, qu'il soit réel ou pas. Je prends la fuite, je m'expose plein de fard et je ne dis rien de plus qu'eux. Il n'y a rien de plus à dire que tout ce qui a déjà été dit mais on peut le faire quand même et je m'y applique, toujours pour juguler l'hallucination, la soumettre à mon désir factice, croire que tout cela peut se voir conférer une quelconque valeur. Frappez-moi, je saurai que j'existe. Il n'y a rien de pire que le vide... chez les nantis comme moi. C'est le point faible de l'homme moderne : sa décontenance devant l'orgie. Vais-je regarder un film (Netflix m'en propose des centaines), faire un jeu vidéo (j'en ai plus de 500), lire un livre (il m'en reste 50 à compulser), sortir ? Je reste chez moi et j'écris. Pour participer à l'industrie du divertissement ? Je ne suis qu'un divertissement, voilà ma faiblesse.

Les mots cognent à la paroi du réceptacle vide de mes idées. J'en propose une, elle est déjà obsolète, elle ne produit rien. N'y a-t-il pas un moyen de se dépendre de la tyrannie de la liberté ? En regardant une plage publicitaire à la télévision peut-être... Pour s'éduquer, bien choisir ses produits ménagers et son alimentation carnée, trouver la voie dans le labyrinthe de la normalité éclairée. J'irai m'instruire à un cours sur la propreté, je voguerai sur une mer d'acceptation de mon appartenance à la cité, je deviendrai le sous-produit d'un élan vers la conformité. Et je me planterai, inconscient de cette folie que promettent nos Prométhée. On n'échappe pas à son temps, et tous les bouleversements de sa nature trouvent refuge dans leur mise en textes. Ce n'est donc plus comme avant. Et ce n'est toujours pas comme après. Situé à la lisière du changement, les millenials n'ont pas compris que leur vie privée allait s'éteindre, que la 5G accélérerait ce changement et que la société totalitaire dont bien des entrepreneurs rêvaient était déjà actée. #balancetonmot, écris un truc sur twitter, poste une photo de ton chat sur Facebook, montre-toi tel que tu aimerais qu'on te voit et brille le temps du surgissement d'une dizaine de likes. Tu es la superstar d'un monde clos et à la fois trop vaste, tu es le héros du capitalisme triomphant et de l'écocide ubiquitaire. Prends ta voiture, va à Prague, fais du tourisme à Naples, va observer de plus près les chutes du Niagara. Et vois comme le monde se porte mieux sans toi. Toi, c'est moi, nous ne valons pas mieux toi et moi. Mais je m'applique, je dérange ce chaos de mes mots à moi, pour toi, et ce n'est pas tout-à-fait rien. Il faut bien m'exprimer, même n'importe comment, il en restera quelque chose de toi (de moi). Le médium est le message. Je m'épuise en lui, je cherche une répartie, je me désole, je me console, je ne suis pas stable. A quand l'aurore ? A quand les bons mots ? Je ne suis pas la chouette de Minerve, j'attends la lumière. Pour m'engouffrer en elle, devenir un soleil, faire de mes palabres un chemin de gloire vers quelque pensée immortelle. Pour m'y étouffer, raidir ma liberté dans sa programmation autoritaire, devenir mon propre bourreau, combler les plages d'ennui par une activité sans terme. Dans quel but ? Circonscrire cette liberté-souffrance dont je jouis à peine parce que je suis un nanti de la pire espèce. Que devons-nous sauver de nos modes d'être ? Des mondes dystopiques approchent et on ne pourra sans doute rien y faire. Je suis assis, je pense à peine, disons que je pense avec peine parce que l'univers des humains m'échappe dans une large mesure. Que faire de ce doute est la question qui se répète sans cesse. Il y a bien un étonnement, le système marche à merveille et le chaland ne souhaite que sa perduration éternelle. Voilà d'où viendra la chute : nos espoirs sont vides. Il n'y a rien après sinon la désolation. C'est la ruse de l'Histoire que de nous conduire vers son anéantissement. L'Histoire veut s'achever pour recommencer dans les mêmes modalités.

9 mai 2021

Terrasse

Spleen idéal contre réalité de l'euphorie, tout se dissout dans un grand verre de Triple Karmeliet que je m'envoie sans rage à la recherche désespérée de l'ivresse. Les émotions se noient dans un même bain, je ne sais plus si je suis heureux ou triste. Et même riche ou pauvre. Je bois. Avec pour seule modération de prendre mon temps et de partir une fois la fermeture du bar annoncée. Ce n'est pas assez évidemment. Pourtant c'est trop. Ambivalence implacable, rudesse de la solitude dans la foule, la lumière ne fait que rendre visible les ténèbres. Et je joue avec, hirsute, en chasse, aux aguets du moindre début de connivence. Mon corps s'emballe mais il ne tremble pas encore. Elles sont partout, autour de moi, reines ou pas, complices ou médisantes, occupées par leur clique de mâles au genre flouté dans une indétermination moderne.

Le vent ne caresse pas, il fouette par bourrasques et renverse parfois un verre vide, qui explose alors sur les pavés irréguliers du bistrot en provoquant la surprise. Blam ! Puis les rires reprennent, il n'y a rien de mieux à faire. Le murmure est bruyant. On ne décèle aucun propos sous la bâche, juste des éclats de vie et le bourdonnement rassurant d'un rassemblement électif qui pose ses frontières à quelques dizaines de centimètres de chaque table. Je suis en société et j'écoute sans passion les restes de musique qui s'échappent de l'intérieur bondé.

Quand mon second verre arrive, je dis des merci, des gardez la monnaie, et je souris à la fille avec la naïveté de croire que cela opérera quelque magie. La séduction est une entreprise qui me dépasse et, benoîtement, j'essaye encore et toujours de la mener à bien. A mi-chemin, je prends deux fois le vent. Elle ne me nargue pas, elle s'esclaffe avec une pointe de cynisme que non non elle a n'a pas le temps et que ça l'amuse un peu de me voir tenter le coup. Raté. Mais je ne prends pas la mouche, j'essaye de décortiquer en tout petits bouts la scène qui se produit sous mes yeux blasés pour comprendre. Bien sûr, je suis un peu échauffé. C'est la bière, rien d'autre... Non ? Qu'en sais-je ? Il faut rester digne dans la défaite, malgré que le réchauffement par l'alcool l'empêche.

C'est vrai qu'elle est belle ma foi. Et je ne suis pas à la hauteur. En apparence mais pas uniquement. Mon être est peut-être pire encore... Qu'en sais-je ? A force de tout ignorer je vais devenir philosophe. N'est-ce pas là la sagesse socratique que de n'y rien comprendre et de s'en rendre compte à temps. Bien sûr, ce soir je ne suis pas venu chercher la vérité malgré que j'en ai rencontrée une au moins. Une sorte d'explosion des intelligibles dans le ciel de mon esprit crédule. Autrefois, je pensais que c'était une maladie mortelle de l'âme que de s'échouer sur les rivages de l'incapacité. Désormais mes échecs forment une belle collection de souvenirs, de ceux qu'on peut raconter à des amis en mélangeant les alcools et les variétés de cannabis. Et qu'on étaye largement – et lourdement – sous l'effet grisant des méthamphétamines.

Si le mieux est de ne pas s'en faire il est navrant de constater que je m'en fais tout un film. Je ne suis pas ridicule, juste un peu pataud. Il s'en trouvera une pour apprécier. C'est ce que je m'imagine parfois en rêvant de quelqu'un qui trouverait gré de jouer à Twilight Struggle et d'écouter Electric Moon avec moi. Non pas tant pour me faire plaisir que par réel intérêt. Ce qui est très con. Je rêve que cela se termine sur un concert surprise de space rock à Copenhague avec du hasch et de la bière exotique.

Or ce soir, je m'envoie de la Triple Karmeliet affalé sur ma chaise en bois en faisant le constat que quelque chose cloche. Mes doigts n'effleurent que des artefacts, ma voix n'est que formalités et j'entends les perturbations normales d'un début de soirée sur une place fréquentée. Pourtant, la vie s'écoule sans éroder une placide bonne humeur qui n'est pas que façade. Je suis bien et j'attends d'être surpris, comme pour mieux goûter ma bière déjà un peu tiède. La musique ne me remue pas, elle tapisse le background sans m'assourdir et je me rends à l'évidence que si je suis original ce n'est guère que comme tout le monde. J'ai simplement ma part, sans philosophie, sans projet sinon ceux qui vont rapidement capoter.

D'un œil curieux je fais le panoramique de la situation et je vois les possibles de ce monde qui va bien moins mal qu'on ne peut être tenté de le croire. Les choses sont en ordre, elles vaquent à leurs désirs, chuchotés dans quelque journal intime pour timidement les faire advenir à la vie. C'est une naissance, un concerto timide qui lie harmonieusement volonté et réalité par l'exercice d'une louable hypocrisie et le déballage des pires blagues carambar.

La serveuse, au visage doux et aux cheveux épais et sans fin, passe et repasse. Ici, on court pour amener les verres et les débarrasser. Pour la voir encore une fois de près j'envisage de commander tant et plus. Il n'est pas tard et le magma grouillant des badauds de sortie est loin de trouver son achèvement. Le tact le mieux placé serait de s'en réjouir. Seulement, je suis un peu perdu. Même si pas encore tout à fait ivre. Pousser jusqu'à l'aube serait stupide et, l'étant radieusement, j'envisage de le faire. Juste pour la retrouver, enfin déchargée de sa tâche, libre de m'envoyer paître et de ruiner cette placidité citée plus haut dans une micro-dépression qui durera le temps d'une nuit à rêver d'autre chose dans l'intimité de mon sommeil silencieux. Elle en fera peut-être une blague, sur un souvenir proprement offert à l'appétit de quelques happy-few, qui s'en régaleront jusqu'à saucer les détails d'une mythologie assez contemporaine pour être reçue sans obstacle majeur. La psychologie de comptoir, bazardée au tout-venant moderne, est le centre nerveux de la bonne tenue des administrés qui envisagent de réussir. Selon qu'on s'entend sur le terme « réussir », qui peut tout aussi bien se limiter à se faire « intégrer ». A priori le monde n'est pas fou, les routines vont dans le sens du toujours plus, ce qui est parfaitement adéquat avec l'utilitarisme général. Il faut beaucoup discuter pour engendrer une opinion intéressante mais la misère de la raison suffit à s'en forger une tout court.

Toujours accolé à mon bout de table, je vois des visages. Parfois je sens un regard, furtif, à peine curieux de moi (encore moi...) et sans doute loin d'opérer autre chose qu'un survol sans conséquence de la plèbe, pour s'en faire une idée arithmétique mais approximative. Je ne suis pas à ma place mais j'apprécie l'intrusion. J'espionne distraitement. L'heure tourne et il me prend de vouloir partir en chasse. Mais je ne suis pas à ma place sur cette terrasse ; je dénote. Mon objectif est clair mais il n'a rien d'impératif. Au fond, je me mets à penser que c'est mon corps qui réclame sa pitance, comme s'il était en manque, en manque d'un contact, d'une présence sécurisante et surtout aimante. Est-ce que je sais aimer ? D'une façon bien particulière c'est possible. Or, s'il existe une impasse entre moi et le reste de mes pairs c'est sur le thème de l'hygiène. Rebut, je suis crade et seules les amitiés passent. Que faire ? Je commande un autre verre.

L'alcool commence à irriguer mon système, ma vue se double un peu et je dois me concentrer pour la ramener à son état habituel. La bouche entrouverte, la respiration plus forte, les membres souffrant d'un début de débilité, j'envisage de passer mon tour, de laisser mon verre plein ici et d'aller régler mon forfait de jeunesse tardive. Seulement, une force d'inertie me cloue à la chaise, [j'en ai trop pris, trop pris]. Il va quand même falloir penser à rentrer, me faire accueillir dans les bras d'un Morphée conciliant qui me punira tout de même peut-être d'un réveil en sursaut au climax d'un cauchemar dérangeant. J'oublierai mon désarroi pour un plus grand, mais éclair, prompt à disparaître dans la minute. En attendant, mon verre est là et j'y suis encore. Mon désir de romance, désuet et à la difficulté de réalisation sous-évaluée, s'est jeté par-dessus bord, léger et déjà bien immergé dans les effluves d'orge fermenté. Je jette à nouveau un œil à la serveuse, par pur plaisir scopique, mais mes projets se sont noyés. Tout ça pour ça... Plus de 20 euros claqués et la promesse d'un sommeil lourd.

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9 mai 2021

Ah Technikart !

J’ai envie de te dédier un papier, que tu saliras avec ma permission, et qui, moi-même je n’ose pas en douter, contribuera, et cela deviendra peut-être une habitude, au débordement d’un dossier indésirables déjà bien fourni. Je t’offre de ces textes, aux phrases alambiquées sinon logorrhéiques, qui n’en finissent plus de s’étaler, à chercher dans la mesure de chaque mot le sens de quelque Tao. Si par bonheur (ou le contraire) mes mots parvenaient jusqu’à ta boîte de réception et que, comme au terme d’une transe chamanique qui se fait fi de quelque bande passante, tu estimes que je mérite plus que de végéter avec mon AAH et pour principale activité sociale le journal du soir d’Arte, n’hésite pas à m’envoyer mille bécots de reconnaissance pour … rien mais quand même ! Tu pourras, et je le souhaite, légitimement continuer ton office mensuelle, que j’avais déserté un an plus tôt pour aller voir s’il y avait autre chose au-delà de toi, des babes et des drogues hallucinogènes. Tu pourras, même si jusque-là rien ne t’y empêche, distribuer, pour l’eucharistie de la hype (dont je n’aime faire partie que de loin), ton magazine attendu comme la messe. Habemus Technikart !!

Quant à moi, perdu dans un pli du temps – Dickien, la prochaine génération décidera -, j’essaye de vous rejoindre, au moins en pensée, bien seul avec la seule force d’un refus homérique, et héroïque, d’être un produit (que je suis malgré tout). Que fais-je dans mon trou, à gamberger et entretenir, Clozapine me prévienne de dérailler, les derniers relents de mon délire psychotique ? Que suis-je dans mon coin, là, à attendre quelque polyphanie et/ou le coup de pied aux couilles qui me sortira de mon état d’hébétude cultivée ? Mon histoire commence avec toi, 10 ans quelque part en arrière dans une cave aménagée, et je viens raccrocher ce qu’il me reste de passion pour tes formes violemment colorées. J’ai eu beau chercher, à droite comme en d’autres extrême-ailleurs, rien ne t’arrivait au genou, ni même n’en nourrissait quelque espoir, aussi léger fut-il. Alors, pour fêter notre réconciliation, après un an d’ascèse, je me suis dit que quelque exercice de ponctuation et d’assemblage de mots (sorte d’ergothérapie), y compris savants, à ton attention serait sinon salutaire à tout le moins le bienvenu.

Par ailleurs, si jamais tu rechignais à répondre à mon affreux épître, je me fais fort de n’en être, maintenant ou plus tard, jamais offusqué. De toute façon, écrire (et même mal écrire, il n’est pas inopportun de le préciser) est de mes plaisirs l’un des plus grands. Plus que le sexe ? Frédéric B., dont tu ne manqueras pas de deviner le nom, ne m’aura pas répondu - non plus ? Et ce n’est pas faute d’avoir commis, pour ce forfait je plaide coupable, quelques agencements de mots raffinés, ou la pose d’expressions manifestement inédites, et de parcheminer mon courrier d’harmonieuses, utiles et amoureuses vulgarités. Tout n’est, heureusement, pas que jeté à la mer. Je garde copie de la moindre étincelle de prose, et de toute la fange que j’ai engendrée, avec l’espoir – certes ridicule - de pouvoir en faire la lecture à des fans au moins enfiévrés.

Oh ! Je ne vais pas pleurer. Ma liberté est déjà grande. Mais la vie pourrait être tellement plus décalée, tellement plus parisienne (que d’être est, selon la région, un défaut ou une qualité), tellement plus … psychédélique. Comme avant. Avec le matériau brut d’une vie après la drogue, après la conjugalité, après toutes sortes de conneries. Après l’espoir ? Autant dire que j’ai vogué sur des eaux obscures. Certains iront de leurs petits conseils : écouter Hindi Zahra en boucle jusqu’à explosion du cœur, danser pieds nus et seul dans mon salon pour conjurer mon hyperstase ou sublimer, le temps d’un trip, l’étendue d’un sentiment qu’internet a rendu océanique. Quelles sont loin les soirées Xtaziéee et folles de mes débuts dans le monde. Qu’il est loin ce Metropolis où j’ai fait mes armes dans la défonce. Avant même ma première clope ! Oui, et clore le chapitre Technikart était bien la meilleure des stratégies pour retrouver un solide sens commun. Me raccrocher à ce qu’il restait de lien avec mes congénères.

Aujourd’hui, j’ai survécu, et le combat fut épique (au moins dans ma tête où nous nous bousculons avec empressement) pour les gens normaux, ceux qui suivent mes traces, et je ne m’en porte pas moins bien. Peut-être même mieux. C’est dire ! Nonobstant le fait qu’être sorti des couloirs étriqués des pavillons fermés de l’hôpital psychiatrique n’a que renforcé mon idée que le monde dans son ensemble n’aspire à devenir – et sans doute l’est-il déjà en vérité – qu’un asile à l’air libre, une moutonnerie que ne guide que la reine télé, ses prêtres éditorialistes et autant de totem destinés à fixer quelques immuables repères. Alors j’écris. Descartes affirme que je finirai bien par sortir de la putain de forêt ; que la vie au soleil est au bout de mon chemin. Même tortueux, même torturé. Je vogue dans mon vaisseau-bulle avec des fenêtres (Windows ou Android) qui m’assurent, et de toute façon on l’a mille fois rabâché, que la fin de l’histoire n’est ni pour bientôt ni peut-être pour jamais. Et je plane, je survole. Je prends des photographies de mon corps terrestre. Je contemple du haut de mon perchoir l’assemblée des contingences de l’univers et je me décrète heureux. Même sans vous.

Néanmoins, vous trouveriez sans doute agréable de compter parmi vos rangs un pur monstre d’appellation schizophrène contrôlée. Et j’ose imaginer que vous avez mieux à m’offrir que me donner les commandes d’un balai ou de me faire maître de la machine à café. Au pire, je serai déjà pleinement enthousiaste de venir visiter vos locaux et passer un peu de temps à écouter vos théories sur la drogue ou, même, le journalisme. Bref, très vite je vais vous faire parvenir la somme de mes deux dernières années de travail littéraire, compilée sous le nom de Chaosophie et autres vidéolubies, qui à n’en point douter esquissera quelque rictus aux coins de vos lèvres.

Cordialement,

Amen

26 février 2013

9 mai 2021

Humeur d'un jour

Belle créature de la nuit, mille tournures usées suffiraient-elles à relever les essences de ton âme meurtrie ? Un million de mots délavés satisferaient-ils la peinture des fébrilités de ton cœur apeuré ? Mais j'ose. J'ose lancer, dans les abîmes rosés et mous des dérives de mes passions enfiévrées, les errances de mes sens affolés. Plus encore, dois-je insister, je me jette, comme cet autre, dans le reflet de mes songes, dans l'océan de mes incertitudes jamais entièrement cicatrisées. Et tant pis si je me trompe. Ce combat contre qui, contre moi, contre tout, n'est pas mon lot, il est ma joie. Il est la promesse, fugitive et abondante, de douceurs élégantes et raffinées. Quand je te vois, des mots jaillissent et s'écrasent violemment sur la page vierge de mes espoirs. Ils remplissent, comme une fanfare délurée s'empare des rues de nos villes pour un instant jubilantes, les interstices désordonnés de ma folie bientôt sans gouverne. Et tout paraît tellement plus grand, tellement plus fort, quand l'image de ma main dans la tienne, sous les lumières d'une nuit rassurante, s’épanouit dans nos réalités bientôt partagées et que les ombres de nos peurs s'exilent vers les territoires inconnus des replis de nos inconsciences détraquées. Mais je ne crie pas. Je me réserve, ma joie est contenue. Sagement, j'aime ces choses qui durent et je modère mes appétits pour prolonger le voyage, le rendre agréable et le poursuivre sans fin, comme si tout était déjà conclu et qu'il ne restait plus qu'à prospérer dans nos caresses et nos baisers. Et après, si nos chemins doivent dériver, à l'est, à l'ouest, toi au Nord et moi au Sud, le souvenir agréable d'une soirée à discuter des tristes vérités de la réalité, même s'il ne triomphera pas de notre extinction, résistera peut-être jusqu'aux limites exaltées de nos vies rassasiées. Des mots traverseront le temps, traverseront nos précarités, et rugiront à nouveau dans un plus tard où la littérature sera devenue le luxe abscons d'une aristocratie bourgeoisement éclairée à la lumière des incertitudes de tous les autres. Notre vaisseau éthéré transportera les mots inspirés par nos sens, pour d'autres paysages, d'autres morales et d'autres humanités encore sans visage. Il lancera, plus loin que trop loin, les projets interdits de nos envies les plus douloureuses et tout sera alors tellement plus calme, si calme et si reposant. Le répit s'annonce mais quelques doutes résistent et le meilleur des choix sera désormais de s'abandonner, comme en offrande aux lois de l'univers, aux chimères obscurs et incontrôlable de ces temps qui s'annoncent : les nôtres. La longue apnée de nos années passées disparaîtra et nous pourrons peut-être enfin respirer, sagement cachés loin de la houle qui règne en surface, de cette agitation qui gouverne les êtres effrayés par notre faim de liberté.

9 mai 2021

De lointain matin

Il n'y a dans le ciel que les nuages noirs que j'y ai placés, ragaillardi par les idées troubles que je fomente à ma propre intention de m'acheter quelques sucreries pour entretenir un diabète déjà dans les starting-blocks. L'on m'a dit que je me ferai bientôt vacciner, que j'aurai une vie plus à mon aise au mitan de monsieur et madame tout-le-monde. Mais pour l'instant, mes analyses sont bonnes, je ne suis pas même asymptomatique. L'esprit perdu dans mon écran, je survole Facebook comme matière de mes digressions maladives. Un paragraphe naît de cette agitation et personne ne s'y retrouve, bientôt une page entière et l'inspiration est déjà veuve. C'est une journée sans agitation, des amis sont sur le point de venir me voir, nous jouerons sans doute aux cartes. Les plaisirs de la vie en société cimentent les canaux qui font parvenir quelques onces de bonheur au système secret de récompense de mon cerveau fuyant par endroit. Des toxiques ont peut-être fait s'effriter les parois de l'acheminement de la dopamine mais force aussi est de reconnaître que l'afflux sérotoninergique est à son meilleur niveau, même dans sa stase tranquille. De simples phrases se transforment en littérature, comme s'il y avait un dessein plus grand que celui de mes pensées, à affiner, pour rencontrer, enfin, l’œuvre. On peut s'en maudire, un test-match auprès des éditeurs nous tuera si nous ne savons pas corriger nos emportements mal écrits. Ce qu'ils nous disent nous effraie, nous ne sommes pas du sérail, il n'y a pas de place pour nous, tant pis nous continuons. Notre style se précise, nous voulons ne rien dire en épiloguant jusqu'à la mort du canal carpien, libres de nous perdre dans les flots tempétueux de nos perceptions mélangées. Les anges nous surveillent. Qu'y faire ? Probablement rien... Eux aussi je les maudis, presque plus que moi-même. Le baquet de la Grande Roue arrive à destination, nous descendons pour contempler depuis tout en bas les hauteurs capricieuses dont nous avons survécu. C'était un beau voyage malgré tout. Et depuis les sommets, on peut saisir des panoramas ravissants qu'éclairent nos idées célestes et vivre avec une intensité plus probante l'indélicatesse des gens perdus à ne voir qu'entre leurs deux œillères ce qui reste de la réalité lorsque tout a disparu ; ce que quelqu'un a autrefois à peu près dit dans ces termes. On se console de ce qu'on peut, il s'agit de ne pas trop se disperser, et l'Aurore est enfin là. Mécanique des sentiments, bouleversements incessants, images brinquebalantes, nous essayons une rime. Que dire de nous que nous n'avons pas ultérieurement déjà dit ? Je remixe, je pulvérise quelque bienséance pour me donner de la constance, j'imagine le résultat de mes diatribes mises en balance et je fais tout tomber à même le parquet comme s'il y avait quelque chose à sauver. Non, ne me suivez pas, profitez du déballage sans permanence de ma folie contenue par la médication la plus sommaire (Loxapac, Clopixol, Noctamide, Lepticur). Il n'y a rien de plus merveilleux que les effluves dans lesquelles je baigne pour la sécurité du chaland.

Car je brille clandestinement, je ne dévoile pas tout, j'en laisse à la vindicte qui saura venir me trouver alors que je ploie. Tout est factice, le voile s'épaissit, je cherche des solutions de secours à ce bazar hallucinogène mais les anges sont durs. Ce doit être des créatures de l'enfer, je le sens comme ça, ils ne m'apportent que tristesse et discorde mais ne me parlent plus de cet ancien amour aux trousses duquel je me suis grillé les derniers neurones jusque-là privés de fiesta. Tout est là, contenu dans une alcôve cachée des regards, précipité par l'insatisfaction et les contradictions. Suis-je fou ? On m'annonce que non... Pourtant, à y regarder de plus près, les auteurs sont aussi fous que moi. Ou alors je suis aussi fou qu'eux, me laissant détruire par une pulsion scripturaire et une envie de tout dire, sans doute presque rien mais dans une prose héroïque qu'on laisserait traîner pour que quelques yeux se posent dessus. C'est ainsi que je déploie ma hargne, insoluble même dans le café (et pourtant je m'en envoie) et irréductible à l'appréciation escamotée de quelques passants qui trouvent étrange qu'on se lamente d'être hors-circuit malgré tous nos efforts. Après tout. Il n'y a guère de plus succulent met que celui qui nourrit nos obsessions pathologiques, nous y retrouvons le goût d'être parmi vous, en planque certes, véhiculés par un traitement de texte, débordant de mots à accoler comme on fait un collier de nouilles. Et sans doute n'y a-t-il que nos proches pour en célébrer la force. Non, nous mourrons d'une apoplexie lexicale à force de mêler nos humeurs à la littérature. Car nous ne sommes pas Proust, car nous trouvons les limites de notre art dans une volubilité feinte qui fait croire que nous avons du bagout, car l'opprobre nous est seule promise au terme de ce déballage insipide que n'importe quel poseur ridiculisera de ce talent que nous n'avons pas pour réduire nos ébats à de simples phrases agencées dans l'idée que nous voudrions être compris. Il est possible que nous ne cherchions pas à être intelligibles, que toute notre verve ne serve qu'à pomper le temps de ceux qui en ont et qu'aucune solution raisonnable de rentrer en communion avec le reste de la plèbe ne vienne obscurcir notre propension à éclater de douleur maligne. Nous sommes aigres, nous sommes assez fiers, nous sommes embarqués dans un navire de triste bonheur. Et nous voguons. Tantôt mièvre, tantôt énigmatique, jamais vraiment dans le rang, nous laissons filer la part de nous-mêmes qui veut se raconter sans rien en dire. Et nous aimons ça. Sois damné celui qui nous fera courber le verbe, nous lui donnerons des kilomètres de tragédies à ruminer sans terme de nos plus belles incartades littérantes. Ce sera de trop, ce sera indigeste, ce sera pure merveille.

Qu'avons-nous appris dans ce méli-mélo de lettres ? A priori rien, et c'est là que la cible est atteinte. Notre fougue ne sert à rien, nous vivons seuls, entourés, seuls, avec des amis, dans le grand bain de la vie en société, félicité par le coche, applaudis par le veilleur, toujours en marche vers les dernières chaleurs. Notre corps est impie, de son auto-sexualité nous en sommes devenus sourds à toutes les sirènes malséantes qui baignent nos désirs maladroits et jamais actés. Il n'y a guère que notre bonne santé pour faire taire les indigents qui pensent qu'il faille trouver son complément pour exister. D'ailleurs, qu'il est bonheur de vivre sous la coupe réglée de sa propre responsabilité. Nous n'attendons rien, enfin... nous n'attendons plus rien, la messe est dite, les chariots en feu de notre étrangeté ont été réduits en cendres, il ne reste que l'amertume d'une peau qui ressasse de lointains souvenirs de sa proximité avec une de ses pairs. Nous sommes rendus à nous-mêmes, la vie ne se signifie que par éructation, nous avons plongé dans les abysses de notre liberté retrouvée. Les fouilles se poursuivent, nous imaginons un monde Atlantique sous l’œil attendri d'Evhémère et de son athéisme dit systématique. Le puits est profond là où nous cherchons à réaliser la concordance des temps mais nous n'y avons rien de plus trouvé que l'amertume d'une félicité isolée. Nous avons pléthore d'amis et ils sont recevables dans nos quartiers malsains à tous les niveaux bien que nous ayons un peu honte du spectacle que nous leur offrons. Ils convergent tous vers nous, ils nous nourrissent de leur bienfaisante complicité et nous survivons à tous les assauts de notre corps meurtri par l'exclusion. Mais bah ! Quelle ironie. Les quartiers de notre société sont bien achalandés mais notre sensualité est meurtrie, dilapidée, escroquée, réduite à misère de cendres lâchées au-dessus d'une mer agitée par les tambours de guerre de cette illusion morbide à laquelle nous avons attachés nos derniers espoirs. Oublions notre désir obsessionnel, il ne nous lie qu'à d'autres misères qui ne trouvent aucun lendemain. Un neurone s'agite, faisons-le taire. Après tout, pourquoi faire autrement ? La charge mentale n'est pas rassurante, il nous échoit de passer notre chemin et de continuer vers ces terra incognita que nous nous plaisons à découvrir dans des transes tranquilles et au fait de l'écologie personnelle de notre esprit en fièvre.

9 mai 2021

Mental O

Un ami, une autre amie, nous respirons l'air frais d'un jardin en surplomb d'une vallée agréable à simplement regarder, depuis notre taille humaine, flirtant avec le vide et les espaces abîmés par la touche créatrice d'une usine à immobiliser les vies, et nous concertons sur mes défaillances aux airs stupides. Je suis un éternel bleu et quelque chose me dérange dans le ciel. Je ne sais pas si c'est un oiseau ou une apparition et déjà un second nous survole. Est-ce que les autres les voient ? J'ai un subit secouement de la tête sur la gauche, quelque chose m'agresse. Et recommence. Je me demande si je ne suis pas en train de devenir fou. C'est un bon indice que je n'aie pas encore plongé, bien que rien ne l'assure vraiment. Mon cinéma se remet en état de marche, j'imagine des perspectives inquiétantes d'une vie qui, à ce moment, n'est plus vraiment mienne – je l'ai assignée à un autre mentat. Un tremblement me raccroche à l'hiver mourant, j'ai froid, ou peut-être est-ce une vague d'angoisse qui anticipe que s'abatte sur moi comme l'épée au-dessus de Damoclès les vents rageur de la déliquescence cognitive. Une redite, peut-être l'annonce d'une escapade en terre à délires. Que fait la police des normes sociales, voilà ce que je me demande. Elle me laisse pétrir des doutes qui vont rapidement prendre toute la place de l'établis en moi d'où les autres au fond de moi fomentent moult sortes de ravissants dérèglements à spammer face à moi. Pendant ce temps brille dans leurs yeux des velléités de passer au-dessus de tout ça, la proposition bateau que tout le monde passe par là, et alors je secoue à nouveau la tête ; une autre créature m'instille de mauvaises idées auxquelles je résiste. Le monde s'étire, la vue se rétrécit. Nous sommes aux marges du Jardin Anglais et nous buvons notre soûl de Schweppes Agrumes en oubliant que mon âme est grignotée par d'inconvenantes prophéties, de celles qui se réalisent de simplement les évoquer. Mourir ? Guérir ! Déglutir le poison, rendre à la Terre les condiments âcres de nos lubies, flirter avec les anges qui, ça y est, font leur triste apparition avec cette mauvaise habitude de commenter à ma seule adresse les désagréments de mes doutes antiques. Le sol tremble un peu, mes pieds finissent par s'y enfoncer, la surface n'est pas stable. Ils sont deux à me prodiguer des conseils au sujet de ce qui prévaut dans les relations entre soi et les autres quand je me maudis l'enfer de ne pas réussir à leur faire voir, à leur permettre de saisir, à les amener à comprendre, comment faut-il le dire, que ce qui cloche relève de celle entre moi et moi-même. Dissonance cognitive, bonne intention de vouloir m'apaiser des vérités simples de la vie en société quand dans ma tête tambourinent des complexes et des équations impropres à être remis en ordre.

Nous sommes là, sur ce banc, et nous attendons une Aurore pour couronner ma débâcle psychique. Une autre voix me parle qui s'agite en agressant mon entendement. Foutu humain que je suis... N'ai-je donc pas assez de forces pour circonvenir à l'écoulement des mots des trois entités qui gouvernent mon attention ? L'ange apparaît alors en image au-dessus de moi et je n'en parle pas, pas tout de suite, il faut d'abord accepter la situation. Il est toujours là lorsque je suis dans le trouble mais ne cherche jamais à m'aider, voire me fait éclater comme si j'étais sa baudruche. Je porte mes mains à mon visage, je le masse, je le pétris, je le rends au noir, et défilent devant mes yeux des formes sinusoïdales qui forment un chemin mutant. Je reviens dans le jour, mes amis sont là, vaillants, prêts à me tendre leur esprit et m'apaiser mais n'y pouvant rien. Ce n'est pas leur faute bien sûr, je ne suis qu'à moitié là. Puis la houle se lève. Où suis-je ? Je finis par comprendre que mes efforts pour signifier la réalité se heurtent à l'indélicatesse de mes penchants hallucinatoires. C'est encore peu, j'ai rencontré de plus vastes entreprises de ma déraison, il faut que j'aille au CMP malgré tout. Alors nous équipons chacun notre barda et décidons qu'il est temps que la médecine jette un œil neuf à mon trouble.

27 avril 2021

La force du constat

Alors que je me laisse aller à revendiquer le pouvoir d'atteindre quelque espoir de romance, d'amitié augmentée, même d'un simple flirt, je vois jusqu'à très loin au-dessous qu'il n'y a plus rien pour soutenir des ambitions que je me sens obligé d'abandonner pour répondre aux impératifs d'une société implacable et de ses citoyens qui, même s'ils mâchent leurs mots, finiront tous par aiguiller ma transe légère vers la réalité en me faisant bien comprendre qu'un schizophrène, même stabilisé, ne peut décemment pas, au vu de son parcours, de sa position dans le système - bien au chaud et ne servant proprement à rien sinon à s'auto-complimenter d'être libre - et de ce qu'il peut apporter à quelque autre foyer que le sien, prétendre voler à d'autres personnes plus accomplies le droit légitime de profiter de ses rêves inadéquats. Investi au dernier degré de la raison, en secret la dépassant allègrement, je médite mon manque de sens commun après avoir cru modeler la vie à ma convenance et envisagé de laisser tomber ma clique pour finir dans les bras amusés d'une femme que j'aurais pu, malgré l'absconsité de la chose, aimer à en crever. Car bien sûr, je me fourvoie, je plane, je dérange, je suis aussi emporté qu'empoté et reste aveugle à la sagesse que partage l'humanité dans les marges de sa foi en les hiérarchies de l'amour, au rez-de-chaussée desquelles je traîne lascivement en imaginant des hérésies sociales que seul un fou peut avoir la foi de transgresser sans dommage. Mais ce n'est pas sa faute. Son enthousiasme s'est délité, son envie de partage s'est effrité, ou peut-être est-ce juste ses propres soucis qui ont fait son plaisir péricliter. Et même si, Grand Dieu, je me trompais, mon harcèlement quotidien est une preuve de plus que mon obsession sentimentale, part prenante de mon délire latent, n'est pas guérie, sa chronicité indiquant peut-être qu'elle ne le sera jamais. Ce serait très certainement souffrance pour nous deux que d'essayer de participer à l'attentat au bon sens qui veut braver les barrières que la sociologie dans son plus large ensemble reconnaît à l'établissement de ce qui, d'une certaine façon, est un crime contre la pensée dans le monde tel qu'il se pratique présentement. Un idéal chevaleresque se plairait à inventer un monde idéal où les cœurs se rapprochent en-dehors de la mécanique sociale imposée mais rien ne viendra confirmer qu'en notre temps il puisse y avoir un amour heureux entre les contractants de deux univers que ne rapprochent que les passions idoines qui y sont permises, à savoir la littérature et les jeux vidéo. Car tout le reste n'est que poésie. Et mon incomplétude ne réussira jamais à franchir la frontière qui mène au pays des gens intégrés, qui plus est elle, bien plus solide que moi, suant sang et eau pour sa petite famille et méritant, de fait, auprès d'elle une personne d'esprit plus sain et de rang moins vain que ceux qui me font n'être que moi-même.

Je sais mes réalisations. Et, bien qu'elles ne soient de celles dont il faut s'apitoyer, je n'y trouve de goût qu'en me les affligeant pompeusement pour en faire l'étendard de ce qui légitime mon statut : la psychose. Grand bien soit fait aux gens occupés à faire grandir des enfants de réussir à m'éviter dans leur intimité. La complaisance dans laquelle je devrais me lover, en toute conscience, est celle qui me fera exister comme être de droit dans la zone circonscrite où je barbote, manifestement heureux la plupart du temps, sans déranger les projets trop hauts pour moi qui préexistent à tous mes pitoyables émois. Il faudra peut-être libérer les chiens fous de mon délire, en délivrer l'absurdité pour l'exposer à la masse avide de connaître les déboires comiques de mon inadaptation. Mon cahier magik a déjà montré qu'une ampoule était mal vissée sur le chandelier qui tente, avec un succès très modéré, d'éclairer ma vie dans sa perception la plus licite et qui ne met en lumière que mon fol emportement sentimental. Cette obsession, j'en répète l'évocation, trouve ses racines dans des dispositions que je connais mais que je me permettrais de ne pas laisser à la libre approbation de cette micro-foule lectrice qui dévore mon âme, jetée là en pâture, en en découpant les phrases d'un contexte que je laisse volontairement trouble. Je me méprise de bon gré d'avoir envisagé, même une seconde serait déjà de trop, chambouler la vie d'une femme aux vertus bien plus grandes que les miennes et aux aspirations méritant plus que le pauvre hère que je suis, à peine capable de vivre au-dessus de sa littérature complaisante et malsaine. Ce que je vaux trouvera le chemin de la résolution de mes crimes de lèse-majesté dans l'acceptation toute simple que je suis voué à ne vivre que d'amitiés, sans doute très fortes, et de ce que la médication me permet encore d'onanisme thérapeutique – deux ou trois fois par mois. Si j'ai fauté, ce n'est guère que par bêtise. J'ai présumé trop fort de ma valeur, je suis marqué aux fers pour vivre dans les marges, divertissant mon monde de mes intempesties et de mes lubies stupides. La schizosphère a replié ses griffes sur mon corps enfin prêt à accueillir la morsure du discernement et à retrouver la raison un instant suffisant pour ne pas commettre de délit au bon sens irréparable.

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Le Canard inquiet
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