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Le Canard inquiet
9 mai 2021

Les muses vacantes

Billevesées en gribouillis, ramassis de soi, lie de la vie en prose, éructations maladroites, délires romantiques en toutes lettres, nous ne pouvons nous empêcher de croire que nous faisons fausse route. Et en même temps, la tête baissée, nous fonçons vers les étoiles. Qui peut nous arrêter dans cette odyssée ? Le fracas de notre motivation sans doute, lorsque nous deviendrons trop niais pour produire plus de cent mots à la journée. Alors nous appareillerons et attendrons la mort. A défaut d'avoir trouvé l'amour. Encore une fois, une fois de plus, puisque nous en avons toujours le goût dans la bouche. Ce n'est jamais de trop, même si au bout d'un moment on en a assez. Peut-être parce qu'on veut plus. A tout le moins... Now goodnight moon, I want the sun. Nous nous reprochons notre hébétude sociale, lorsque nous écoutons sans rien dire, et même quand on nous parle, et surtout quand on nous parle d'amour. Jeez ! Mutiques, nous écrirons encore un livre, un livre insipide, sans course-poursuite, sans explosion, peut-être un mort ou deux (triste sort commun) et il faudra qu'il soit bien écrit. Nous prenons les muses à temps partiel. Elles viennent, elles s'enfuient lorsqu'elles nous comprennent, qu'y a-t-il de si étrange, nous sommes étranges bien sûr et notre pouvoir est de n'en avoir plus rien à faire des clauses, article 2 alinéa 3 (4 ?) dans cette affaire. Nous voulons, nous aurons peut-être mais tant pis pour elles nous resterons les mêmes, arrêtant tout activité lorsque la playlist pointera sur Electric Moon, le son de quelques énergumènes. Rien à battre, tout de façon nous ne sommes pas violents. Tout est véhiculé par la musique, jusqu'aux pires excès, une guitare lancinante, And no-one showed us to the land And no-one knows the wheres or whys But something stirs and something tries And starts to climb towards the light. En attendant, nous sommes rompus, la séduction se fera derrière un masque – on ne touche pas, on ne s'approche pas – jusqu'à nouvel ordre. Elle est là, derrière sa caisse, bip bip bip, et je me rappelle d'elle avant la crise, alors qu'il était encore possible d'apprécier les traits de son visage mi-sérieux mi-tendre (mais pas pour nous) et de profiter d'un sourire, commerçant bien que pas désagréable. Toute chose ayant sa mesure, nous n'en faisons cas, même si nous aimerions nous en faire tout un cinéma. Soyons un peu Ponce Pilate, lavons-nous en les mains. Puis imaginons une éclipse des cœurs, tous les couples d'un coup de magie, seraient séparés et alors nous connaîtrions les chaises musicales. Bon, il nous faut une bonne chanson :

All those words you said to me

Meant something

But at the same time nothing

For I wasn't listening

I was getting into your soul

Your face has left an impression

Deep inside my cranium

When those thoughts are realised

It's here I find

That your face is in my mind

Yeah your face is in my mind

Nous ne fautons pas, nous restons à couvert des déboires sociaux de la plèbe nourricière. Nous lui offrons nos autels, nous vénérons ses grande ailes, à cette ange démonique en qui nous trouvons (pour l'instant) tout fantastique. Merveille que voilà ! Nous aussi nous sommes aux anges. Nous ne lui dirons pas, nous nous cacherons, nous apprécierons de loin le spectacle, nous nous torturerons sur 20 pages A4 Times New Roman taille 12. Et ce sera mieux ainsi, il ne faut pas prendre de risque, notre retraite sociale pourrait y trouver un couac et revenir dans le creux de ce jeu entre confrères qui nous excède. Nous le voyons arriver, nous sommes bons pour la Friend Zone. C'est bien d'avoir des amis, des tas d'amies aussi, mais nous restons dans le Hall d'attente, divertis par les passants et les filles tout à coup court-vêtues qui ne font qu'abîmer notre fierté. Serait-elle mal placée ? Revoyons une scène. Il est tard, la rue est déserte, un père autoritaire veille à l'étage au-dessus de celui de ma belle. Parce qu'elle est belle avec ses New Rocks, toute de noir vêtue comme alors je préfère, et j'ai à peine 19 ans. Elle sera la première, mais si j'ai un souvenir très net de notre premier baiser je n'en ai aucun de notre première fusion. Je n'emporte pas ça avec moi, ce qui va en désespérer plus d'un. Comment ça s'est passé ? Je ne sais pas mais ses seins étaient parfaits. Nous nous étions rencontrés sur Caramail, le chat à la mode au XXe siècle, où tout était possible, presque plus qu'aujourd'hui, au milieu de phrases entrecoupées d'autres phrases, d'autres conversations. Un chaos pêle-mêle de conversations, une grande fête pour la branlette sociale. Et il y avait un salon Metal sur lequel une fille – en étais-je sûr à ce moment ? - timidement pianotait des mots en aquarelles. J'eus tôt fait de passer en privé et de la rencontrer In Real Life, comme disent tous les gamers (tous ?). Pas de photo, ce sera une surprise complète. Puis nous nous sommes embarqués pour deux longs mois dans la piqûre de l'hiver, à nous retrouver la nuit et à trouver nos vies tout à coup plus agréables. Deux mois, pas un de plus et une séparation dans la douleur et le sport. On vaque à nos rêves, les siens n'étaient pas les miens et elle est tombée dans les bras de son ancien prof de guitare qui avait l'avantage d'avoir un meilleur doigté que moi en ce qui concerne la vibration des cordes. Soit. Je n'ai pas pleuré, j'ai juste fait face à mes premières véritables angoisses. C'est le jeu ma pauvre... Je me permets de ne pas rentrer dans les détails de cette histoire qui restera toujours entre elle et moi maintenant qu'elle a disparu de tous les radars. Si je résume rapidement le scénario de cette dolce vita express, c'est qu'elle m'a assez marqué pour rentrer dans ce livre à cet endroit choisi par hasard à dessein d'énoncer de simples faits sans cryptage. Vous êtes servis, vous ne l'avez ici rencontrée que de très loin parce qu'elle a pris assez de place dans mon esprit pour que j'en fasse un trésor personnel, de ceux que je ne livrerai jamais dans leur entier. Poursuivons !

Souvent, on est assez serein pour ne pas le voir. On bricole des morceaux rouge feu ou noir d'encre, sans aller se perdre dans les nuances du spectre chromatique, on en a honte, le rose est presque tabou, le jaune soleil ne fait naître que l'ennui sinon chez les amateurs de Paulo Coelho et le vert nous rend suspects. Rouge. Noir. Le sang et la mort. Une cascade p.123, deux blessés. Une fusillade, il était temps, p.412, trois morts, le héros s'en sort et la belle est en sécurité. Puis nous résolvons le tout, le complot était tiré par les cheveux, la chute imprévisible et le héros épouse la fille du commandant. Petit nota bene de conclusion : l'humanité est sauvée et le prix du baril de pétrole reste stable. En matière de romance aussi il peut y avoir des rebondissements et des cliffhangers équivoques qui font espérer une suite (mais ce n'est pas sûr), des dévers d'émotions du genre mielleux ou aux odeurs fines de lavande industrielle. On pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils. Alors, le temps fait son œuvre, on se redécouvre, on veut conquérir l'univers et en tout premier lieu la princesse coincée dans le château de Bowser, un hère bon allant qui contrarie des projets de toute façon stupides. Die and retry avec une autre cible. C'est l'impermanence avant le dernier coup de foudre, qui se conclut sur 30 ans de bonheur conjugué et une palanquée de mioches à envoyer à la fac. Deux peut-être. Les joies et les brisures de la parentèle, une osmose trafiquée, des coups durs salvateurs et une famille recomposée. Les enfants doivent-ils appartenir à leurs parents ? Faut-il d'ailleurs continuer d'en faire... voilà la thématique principale dans un monde dégénéré en partance pour pourrir les planètes d'à côté. La Lune pourrait devenir un bon spot de villégiature, la vue est superbe, les prix seront bientôt annoncés, on y emmènera la princesse qui se trouvera peut-être dans un nouveau conflit d'intérêt. Or, la série Black Mirror nous a mis le doute : notre présent est-il souhaitable ? Notre avenir est-il viable ? Questions bateaux pour roman-fleuve d'où s'écoule la sève de notre être, le nerf inconscient de toutes nos guerres, le centre d'attention numéro un : la princesse dans le château de Bowser. J'en connais qui aimeraient se pavaner avec elle, faire montre de leur sex-appeal, signifier peut-être que la réussite et l'argent en sont la clé. Ils se sont trompés de romance. Mais nous, que voulons-nous ? Faire bombance, nous prendre des paillettes dans les yeux ? Nous n'exhibons que notre impuissance... C'est sans doute mieux – merci Pascal – de savoir rester seul chez nous. Des heures qui s'étirent, des bulles spéculatives de projets, un néant qu'on comblera au bar, trois rues plus loin, en abusant de bières amères. De ces mots plaqués on aurait tôt fait de croire que j'ai abandonné sourire pour plonger dans la sinistrose, constat logique qui élude ma joie d'être au mitan de la réalité. Je contemple mes démons pour les laisser flétrir en mon for le profond et l'Histoire, qui s'occupe des siens, me rit au nez. Or, il y a bien une créature étrange qui repeint les abîmes de mon âme de sa bile acide et froide. Elle ausculte mes pensées, me pousse à vomir des mots, emprisonne toute échappée généreuse de candeur dans l'antichambre des espoirs devenus obsolètes ou trop ambitieux. Reste la bonne humeur, que cet exposé, épargné à ma psychiatre, magnifie pour la rendre plus belle. Oui, reste la bonne humeur.

Nous sommes assis là, à nous regarder vieillir, avec des forfanteries comme projets. Il faudrait tout bousculer pour assouvir notre avidité, bien qu'elle soit fort commune. Les réseaux se défont et se refont, l'arbre des possibles pousse sur des racines pourries, l'empire des anges est à portée d'un délire, Thanatos nous sourit, la matrice nous suffit, nous manquons de mots pour bien le dire mais... amour, égrène ta vanité ! Nous sommes reposés, seulement un flux de niaiserie nous encourage à l'action, à l'histoire sans fin. We are machines of loving grace, So take my hand lets fly through space, We can save the human race (Princess Chelsea). Parce que, ironie du sort, nous ne sommes pas sevrés de l'amour maternel et nous rejouons Œdipe. Mis sommairement en forme, le cahier des charges n'est pas encore bouclé. Nous le remplissons, le raturons, rajoutons, discriminons, soulignons au stabylo vert les impératifs catégoriques en quête d'une raison pure et découvrons la métaphysique de nos mœurs dans une consigne automatique oubliée. Voilà, nous cherchons quelque chose qui n'existe pas. Nous sommes prêts à négocier pour un ersatz de volupté mais nous serons intransigeants sur la façon dont nous le traiterons : avec bonheur. De sorte que nous sommes d'une certaine espèce de croyants : des mécréants qui font le pari d'un peut-être et d'un peu d'être. Ce que nous voulons c'est entrer dans le plasme en restant sur Terre. Voilà à quoi nous dépensons notre énergie, si peu, voilà ce à quoi notre cynisme nous interdit pourtant de croire. Les dés en sont jetés, nous verrons bien. En quête de l'Autre, en quête de nous-mêmes, nous arpentons les couloirs discrets de la société en faisant autant de bruit qu'il est permis alentour. C'est un jeu, nous entrons dans des pièces pas trop populeuses pour échanger nos points de vue intéressés à raison de la force de nos cœurs et à destination d'un public qu'on finit par espérer acquis à notre cause de rédemption personnelle. Nous voulons nous racheter en buvant un café, nous voulons aussi mûrir comme d'autres inhumains le firent. Mais toujours nous voguons, assoiffés et fiers d'avoir résisté à continuer nos délires, vers la terra mystica de nos rêves, en restant si possible assis, lourds du poids de nos désirs. Il n'y a pas de tutos, ou alors de mauvais, et nous errons en chantant la fin des temps dans laquelle parfois nous aimerions précipiter l'entierté de l'univers connu, pour qu'il n'y ait plus de barrière, pour que le plasme nous enceigne, pour qu'il n'y ait plus que béate placidité d'exister et rhum à volonté. En attendant, nous irons au bar...

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